mercredi 27 juillet 2011

Une expérience d'écoute

Les véritables historiens et critiques musicaux n'apprécieraient sans doute pas le récit que je vais livrer ici, qui relève peut-être tout simplement du délire poétique, est totalement subjectif, n'apporte pas grand chose sur l'œuvre elle-même (d'ailleurs non-identifiée).  Il s'agit d'une écoute faite durant l'année 2000, année Michel Chion, au Festival Futura
 
Néanmoins le texte qui suit soulève peut-être des questions intéressantes et sur la musique concrète ou sur la façon dont nous nous représentons inévitablement des images, ou situations pour correspondre à la musique écoutée. De situations concrètes ou vécues, elles deviennent parfois totalement sur-réelles ou physiquement impossibles. La fin du texte fait également référence au mécanisme de discrimination, d'identification des sons à l'oeuvre dans l'apprentissage des langues. On pense également à Leibniz.
Que choisir ? Qu'écouter ? Qu'isoler ? Que reconnaitre ? Qu'interpréter ? Il est parfois surprenant de se réveiller avec un bruit dont on s'aperçoit après coup que nous l'avons interprété totalement différemment en rêve qu'il doit l'être dans la vie réelle. Ex : Une personne dormant à côté d'une ligne de chemin de fer peut, au passage d'un train, se réveiller en sursaut, croyant s'être faite fusillée. Quel soulagement quand elle s'apercevra au réveil qu'il ne s'agissait que du passage d'un train !
Notes prises au festival international d'art acousmatique FUTURA 2000 à Crest (Drôme).
C'est une écoute ou une aventure. Au début, on garde les yeux ouverts, puis on trouve un point d'encrage et l'on part. C'est le bruit de la vie. Mais le disque est rayé, il passe à la mauvaise vitesse. Impossible de régler la station vie. Au loin l'orgue limonaire entendu dans l' enfance.  On devrait s'en souvenir, mais la mémoire flanche. Les sons sont inexacts. Un gosse apprend à lire. Ne peut-on jamais arriver à une perception pure ? Tout cela rend pessimiste. On semble avoir perdu quelque chose au fond de quelque chose. Il faut chercher.
Un type crie avec une grande ferveur qui semble endoctriner. Puis les pierres tombent comme des prières. Il ne reste que le rythme grave et régulier de la douleur humaine. Le tout est stocké en accéléré, le temps se dérobe.
Traversée d'un long couloir à travers l'histoire. On ne voit que le plafond. On entend les plaintes.
La colère a un point culminant. Une conclusion mot-clé.
L'occasion nous est donnée de suivre cette disparition jusqu'au bout.
Un vase se brise soudain. Mais ça tombe pendant 10 minutes. C'est un vieux vase chinois qui ne nous appartenait pas. On semble remplir un sceau qui est plus grand que le sceau. Les lois de la physique ne sont plus ce qu'elles étaient. Commencement (en ce moment) Un avion atterrit.
Une graine de vie gonfle. Quelque chose de totalement nouveau. Une étoile mystérieuse.  Si l'on imagine cela en mer, on périrait. Mais là non. Ce n'est pas seulement une traversée miraculeuse. Nous sommes à la limite de ne plus savoir. Pourquoi ?
Le geste se déchire. La série de notes est inversée en miroir. Ce qui réveille, c'est le mot que l'on connaît. Divin relâchement du moteur. Vol grillé. Encore la mort. On allume le poste. Il n'y a rien. Il subsiste juste une connexion lointaine, au cas où. Enfin la bonne vitesse.





La perception du son : nature vs nurture

S'intéresser à la physiologie de l'ouïe ou à la bioacoustique permet de se représenter à quel point l'audition musicale, malgré la finesse des analyses pouvant être développée à son propos, n'échappe pas aux lois de la physique ou de la biologie. Il serait intéressant d'analyser à quel point la culture nous permet de nous en affranchir ou dans quelle mesure les compositeurs de musique contemporaine, musique ordinairement considérée comme très intellectuelle, utilisent ces mécanismes.
Les vertus de la musicothérapie, le fait que la musique soit utilisée dans les lieux publics pour apaiser les tensions et éviter la violence, ou pour inciter à l'achat par le biais de publicités, le fait que certains dictateurs y aient eu recours dans leurs "spectacle total", ou la façon dont les compositeurs de musique de film utilisent la musique pour nous mettre à notre insu dans un état anxieux ou ému montrent bien que dans une certaine mesure l'audition musicale n'échappe pas aux "lois de la nature". Au même titre que les autres sens, elle est le fruit de l'évolution de notre espèce.

L'ouvrage d'Antonio Fischetti, aborde avec beaucoup d'humour le domaine de la bioacoustique et de la communication animale, comme on pourra en juger dans le passage suivant :

"Émettre du son, c'est bien ; mais cela revient à hurler dans le désert s'il n'y a personne pour vous entendre. Et entendre exige des oreilles. Cela peut sembler une évidence mais tout dépend de ce qu'on définit par "oreilles". Les humains appellent oreilles ce qui leur sert à poser des branches de lunettes. On ne voit pas d'oreilles dépasser d'un tête de mouche et de grenouille et, pourtant, ces animaux entendent fort bien. Ce qu'ils n'ont pas, ce sont des oreilles "externes", c'est à dire des "pavillons" qui dépassent de la tête. En vérité, les oreilles externes sont l'apanage des mammifères. Il s'agit d'un de leurs signes distinctifs au même titre que la présence des mamelles. A tel point que les biologistes, au lieu de se focaliser sur ces dernières pour définir les "mammifères" auraient pu les baptiser "pavillonnifères".
Les pavillons auditifs servent à diriger l'onde sonore dans le conduit auditif. Un procédé d'autant plus efficace que le pavillon est de grande taille, comme chez les chauves-souris, ou orientable, comme chez les chiens. Raffinement suprême chez ceux, tel l'âne ou le cheval, qui vont jusqu'à bouger les oreilles indépendamment l'une de l'autre. Quoiqu'utiles, les oreilles externes sont loin d'être indispensables pour entendre. L'essentiel se joue au fond du conduit auditif. Nichée au bout de ce canal, se trouve une fine membrane appelée "tympan" dont l'une des faces est en contact avec l'air tandis que l'autre, du côté intérieur, est reliée à une chaîne de petits os, judicieusement appelés osselets. L'onde atteint le tympan, puis les osselets, avant d'être transmise à l'intérieur de la tête où elle actionne des cellules nerveuses qui envoient l'information au cerveau. et c'est là que le son prends sens en étant identifié ( ou non) en fonction de l'expérience antérieure : aboiement de chien, cri d'oiseau, voix humaine... Identification qui conduit le récepteur du son à adopter la réaction la mieux adaptée : fuite, rapprochement, agressivité..."
FISCHETTI, Antonio, "La symphonie animale", Vuibert/ Arté éditions, mars 2007 : p25 et 26 Chapitre "Emettre et recevoir" : A chacun son écoute"

Dans le monde aquatique, le son se propage beaucoup plus vite que dans l'air et joue un rôle primordial dans la survie des espèces (attaque de ennemi, reproduction, repérage spatial...). Les écologistes sont d'ailleurs préoccupés par la disparition des baleines causée par la fréquentation des océans par nos navires. De même il est mentionné dans l'ouvrage d'A. Fischetti que le chant des oiseaux se trouve peu à peu modifié par le bruit ambiant dans les villes (malheureusement il s'agit d'un appauvrissement).

Le maître de musique

Il est parfois surprenant de voir à quel point les conseils donnés par un grand maître du piano à un jeune musicien qu'il destine à une carrière de professionnelle touchent des aspects très divers : concentration, posture du corps, écoute... Dans une importante master class, j'avais pu relever quelques phrases à la volée dont on pourra remarquer que la portée excède parfois le champ de la musique, touchant à l'essence de l'art lui-même ou nous portant plus loin encore.

On ne peut pas s'asseoir sur deux chaises à la fois. Pour s'asseoir sur une nouvelle chaise, il faut d'abord quitter la première.
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Je ne joue pas la musique qui a été écrite sur la partition, je joue celle qui n'a pas encore été écrite, celle qui est pensée, éprouvée par le compositeur
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L'être humain à pour but de ne plus souffrir : le moyen est l'instrument. Le piano est toujours consentant.
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Penses-tu qu'il soit illégal d'être heureux ?
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L'art immortalise la nature qui l'a créé et veut l'immortalité
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La préparation mentale et le silence intérieur du musicien, tout comme la préparation du geste pour jouer le son dont on rêve sont ce qu'il y a de plus important.
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Tout peut être joué, il faut juste trouver une bonne position de la main. Ne pas lutter contre, mais jouer avec.

On voit que les conseils donnés au musicien ne concerne pas seulement son jeu mais sa personne tout entière, sa générosité. Et c'est là ou le travail de celui-ci devient intéressant. Le jeu du musicien dépend-il de tout se dont il se nourrit ? Dans ce cas pourquoi trouve t-on de petits prodiges qui n'ont que très peu vécu mais remplissent parfois très bien leurs rôles d'interprètes c'est à dire de messagers.